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"Islamo-collabos" contre "islamophobes", pourquoi tant de haine?



Article paru dans le Hufftington post


LAÏCITÉ - Comment peut-on déverser tant de haine et de propos racistes contre une partie de nos concitoyens en si peu de temps? Il faut dire que ces derniers quinze jours ont été riches en occasions de revenir sur le sujet fétiche des médias en panne d’inspiration, l’islam.

Les propos d’Éric Zemmour d’abord, qui ont entraîné vagues de réprobations et vagues de soutiens, puis comme un mauvais feuilleton, comme si le destin cherchait à lui fournir un alibi rétroactif, survint l’ignoble attentat commis par un policier converti, le 4 octobre au sein de la Préfecture de Police de Paris.

C’est dans ce contexte que l’affaire du voile resurgit.

Inutile de rappeler les faits générateurs de cette nouvelle bataille du voile: un élu du RN a fait peser tout le poids du terrorisme islamique sur une mère voiléequi accompagnait la classe de son fils en sortie scolaire au Conseil Régional de Bourgogne. La photo de l’enfant en pleurs a fait le tour des réseaux sociaux.

Un voile noir? Hop hop hop! Les mots sont lâchés : salafisme, wahhabisme, soumission, négation du corps des femmes.

En un clic, sur les réseaux, les télés et radios, le débat sur le voile a refait son apparition, les spécialistes sont d’ailleurs toujours en embuscade pour le faire renaître comme un phénix malfaisant, clivant pour notre société, à la première occasion.

Un voile noir? Hop hop hop! Les mots sont lâchés: salafisme, wahhabisme, soumission, négation du corps des femmes. Dans la foulée l’Assemblée nationale et le Sénat, où les groupes des Républicains ont déposé chacun dans leur Chambre une proposition de loi pour interdire le voile islamique pour les accompagnantes des sorties scolaires.

D’emblée, il faut le rappeler, cette mère n’a à aucun moment violé la loi.

Au chapitre “port de signes religieux par les parents d’élèves” du vade-mecum sur la laïcité à l’école, daté de septembre 2019, on peut lire: “L’obligation de neutralité s’impose ainsi aux parents volontaires pour participer à des activités d’enseignement pour lesquelles ils exercent des fonctions similaires à celles des enseignants. C’est le cas lorsque de telles activités se déroulent en classe, par exemple lorsque des parents animent des ateliers et prennent personnellement en charge des élèves, qu’ils encadrent et animent sous la responsabilité pédagogique d’un enseignant. (...) La situation est distincte de celle de l’accompagnement d’une sortie scolaire, à l’extérieur de l’établissement.”

La neutralité religieuse et l’interdiction du port de signes religieux dans les écoles, les collèges ou les lycées s’appliquent seulement aux enseignants, employés de la fonction publique, ainsi qu’aux élèves. “La loi ne concerne pas les parents d’élèves”, indique la circulaire du 18 mai 2004, consultable sur le site du ministère de l’Éducation nationale. 

Mais voilà, surfant sur les vagues du populisme, certains politiques en ont décidé autrement, notamment Éric Ciotti, suivi de près par son rival niçois Christian Estrosi, d’habitude plus modéré, et d’une meute de suivistes.

Le malaise gagne, les membres du gouvernement ajoutent leur touche les uns après les autres dans une cacophonie indigne de notre République.

J’écoutais hier encore et toujours Robert Badinter s’élever de sa voix forte et claire: ”Mais qu’est-ce que cela veut dire? La République ne distingue pas ses enfants de telle ou telle origine.”

Comment supporter les commentaires d’un journaliste qui sans honte a osé dire qu’il était descendu d’un bus où une femme voilée était assise et d’enchaîner “je déteste la religion musulmane”.

Oui oui, en France en 2019, pas dans l’Allemagne  des années sombres ou sous la France antisémite de Pétain, ni sous l’Amérique de la ségrégation, ni l’Afrique du Sud de l’apartheid. 

En France en 2019

La nausée!

Le ministre Jean-Michel Blanquer, de coutume si mesuré, a même indiqué: “le voile n’est pas souhaitable dans notre société”.

Reprenons notre respiration et réfléchissons un peu…

Oui, l’islam radical est responsable du terrorisme.

Oui, notre pays a été lourdement frappé, et il n’est hélas pas le seul.

Oui, nous sommes blessés dans notre chair par ces attentats islamistes.

Oui, nous devons réagir, mais enfin notre République doit aussi réfléchir au respect de ses valeurs.

Et oui, nous pourrions débattre de l’opportunité d’amender le code de l’Éducation nationale, mais sûrement pas dans ces conditions.

L’humiliation est un moteur extrêmement puissant, suscitant haine et esprit de revanche.

La première des règles républicaines est l’égalité de tous devant la loi.

En conséquence, tout texte qui concernerait les signes religieux devra viser l’ensemble des signes religieux (y compris les prêtres en soutane, les religieuses, les hommes en kippa et turbans sikhs), de l’ensemble des religions qui coexistent sur notre territoire, de façon identique. 

L’interdiction des signes religieux supposerait aussi, au passage, que l’une des  principales adeptes de cette polémique ait la décence de retirer de son cou, ou glisse sous son pull ou chemisier, une croix catholique de grande taille qui peut être considérée comme un signe ostentatoire.

Une fois acquis le principe d’égalité devant la loi, venons-en aux questions d’opportunité.

À l’heure où nous débattons de la lutte contre la radicalisation, dont les résultats se font attendre, il faut avoir en mémoire les recherches sérieuses qui ont été menées sur la question, et notamment sur l’argumentaire utilisé par les prêcheurs et les apôtres d’un islam radical, s’adressant aux musulmans sur le thème: “vous n’êtes pas des citoyens, ce pays n’est pas le vôtre, il ne respecte pas vos traditions ni vos femmes, il vous humilie.”

De nombreuses études ont été menées sur le poids et les effets de l’humiliation sur les individus. L’humiliation est un moteur extrêmement puissant, suscitant haine et esprit de revanche.

En réactivant ainsi une polémique avec cette brutalité, les apprentis sorciers risquent de provoquer un effet totalement contraire à celui souhaité.

Le financement des associations cultuelles, la tolérance zéro pour les prêcheurs de haine demeurent des sujets tabous alors que le port d’un voile agite inlassablement l’opinion.

Ce débat nous fournit pourtant une occasion de revenir sur la question non traitée jusqu’à maintenant, et reléguée à de multiples reprises, de l’organisation de l’islam en France.

Avec mon collègue André Reichardt et Corinne Féret, nous avons rendu un rapport sur cette question. Depuis lors, nous n’avons pas pu obtenir ni de la  majorité sénatoriale ni du gouvernement qu’ils s’expriment sur des sujets tout aussi importants: formation des ministres du Culte, financement des associations gérant un lieu de culte.

Le combat pour la transparence du financement des associations n’est pas gagné. En effet nous avons à de très nombreuses reprises, pour suivre les recommandations de Tracfin notamment, demandé un alignement des obligations financières des associations gérant un lieu de culte, qu’elles soient constituées sous le régime de la loi de 1905 ou celle de 1901. Jamais nous n’avons pu faire inscrire cette disposition dans la loi, même si elle a été votée à l’arraché par le Sénat il y a quelques semaines, contre l’avis du gouvernement.

Les musulmans de France, et notamment le CFCM, soutiennent cette mesure de transparence, qui n’emporte pas la conviction des associations d’autres cultes qui devraient, en cas d’adoption, se conformer à la loi de la République et à son principe d’égalité.

De la même façon, il a été impossible d’obtenir le vote d’un texte sur la formation des ministres du Culte, que le groupe des Républicains au Sénat n’a pas voulu inscrire dans ses espaces réservés, bien que le premier signataire André Reichardt soit issu de ses rangs. Un texte totalement vidé de sa substance a été adopté, passé aujourd’hui aux totales oubliettes de l’histoire.

Quant à l’interdiction des sites et applications des Frères musulmans, comme l’application EUROFATWA ou l’interdiction des prêcheurs de haine ou collecteurs de fonds islamistes sur notre territoire, les décisions tardent à arriver.

Ainsi des problèmes essentiels que sont la formation des ministres du Culte et en particulier des imams, le financement des associations cultuelles, la tolérance zéro pour les prêcheurs de haine demeurent des sujets tabous, alors que le port d’un voile par des femmes continue inlassablement d’agiter l’opinion publique.

Nous pouvons nous poser la question: quand pourrons-nous enfin avoir un débat apaisé sur l’organisation de l’islam qui prendra en compte l’ensemble de ces paramètres, sans stigmatisation et sans excès?

Dévoyer la laïcité pour servir un propos politicien n’honore pas les manipulateurs de l’opinion.

Le débat, raccourci en 280 signes, se résume en deux tendances: "islamo-collabo" contre "islamophobe".

La société française fracturée, blessée et écorchée comme jamais dans son histoire, n’a sûrement pas besoin de ces tristes épisodes, sans parler de l’image qu’ils donnent à l’étranger.

Le débat, raccourci en 280 signes, se résume assez bien en deux tendances:

Si vous soutenez l’application des lois de la République, et donc reconnaissez que cette mère avait le droit de porter ce voile faute d’un règlement contraire, vous êtes immédiatement qualifié “d’islamo-collabo”. Si vous émettez des doutes sur telle ou telle position, vous êtes “islamophobe”, ce qualificatif étant lui-même à employer avec des pincettes.

La triste réalité aujourd’hui, et il suffit d’ouvrir la télévision et de consulter les réseaux sociaux, est qu’en dehors de toute rationalité, au mépris des règles essentielles de la République, la haine et le racisme sont en embuscade et minent le tissu social qui s’exprime désormais sans voile, lui!

Je suis une farouche partisane du respect de la loi républicaine, je le dis et je le répète, la religion doit s’adapter à la République et pas l’inverse.

Je n’ai aucune tolérance pour l’islam radical que je combats au quotidien.

Je dis que nos débats doivent s’exercer dans un cadre républicain.

Je dis que surfer sur la haine ne peut en aucune façon servir un propos.

Je dis que la loi de 1905, qui est une spécificité française, est un acquis républicain qui garantit notre mode d’organisation sociétale.

Je dis que les musulmans de France ont toute leur place dans la République, qu’ils en sont des citoyens à part entière et non des citoyens à part, et que le spectacle de ces derniers jours m’attriste et me blesse, en tant que citoyenne responsable et en tant qu’élue de la République.

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